Les soldats s’apprêtaient à quitter le champ de bataille quand leur général vit une seconde armée derrière eux. Il n’y avait aucun doute, il ne pouvait s’agir que de celle qui l’avait battu la veille et qui revenait à la charge. Aussi celui-ci prît rapidement sa décision. Au lieu de crier “Sauve qui peut! “ et de chercher un abri pour son armée en déroute, il décida de faire front. C’était agir trop vite et quand on prend trop vite une décision cela n’est jamais bon. Peut-être aurait-il mieux valu prendre la poudre d’escampette? C’était un chef de guerre médiocre, bouffi d’orgueil, un sang bleu, un homme de la haute noblesse, un hobereau qui savait faire sonner bien fort ses éperons. Ses soldats disaient de lui qu’il n’était bon qu’à pomper de l’air. En plus de cela il avait un bien bel âge qu’il portait très mal. Beaucoup pensaient qu’on avait eu tort de le mettre à la tête de l’armée. Le ministre le regrettait assez. Mais il ne faut pas mettre tous les torts du même côté. Visiblement il n’était pas né sous une bonne étoile et il ne savait pas mettre la chance de son bord. Il était évident qu’il n’avait pas toute sa tête. Il se mettait en colère très souvent et quand on est hors de soi on fait souvent des choses absurdes. Ses ordres n’étaient que des mots vides et quand il ordonna de charger les canons jusqu’à la gueule, les soldats obéirent sans enthousiasme. Le temps des “Hip – hip – hip hourra” était bien passé! Déjà l’autre armée se dirigeait vers eux à pas cadencés. Le général allait donner l’ordre de tirer quand un officier s’écria d’un voix forte: “ Ne tirez pas! Ils ont le même uniforme que nous!” Ce fût l’étonnement général! La guerre les avait rendus aveugles et sourds comme des pots. Ils ne pouvaient pas y croire et ils ne trouvèrent rien à dire quand les autres soldats se retrouvèrent parmi eux. Ces derniers étaient morts de fatigue et tout le monde dormit à poing fermés à même le sol, à la belle étoile dès la tombée de la nuit. Plusieurs, cependant, profitèrent de cet instant pour s’enfuir dans la pénombre. Mais cela n’empêchait les autres de ronfler bruyamment. De temps en temps un soldat se réveillait en sursaut avant de se rendormir tranquille. Quelques sentinelles veillaient car on savait l’ennemi aux aguets. Mais les armes avaient trop parlé pour cette journée. Le lendemain, les journaux parlèrent de la grande bataille qui s’était déroulée aux frontières du pays. Il n’était pas fait mention du général. Celui-ci avait trop mauvaise réputation pour accroître encore sa triste renommée. On le disait riche mais chacun sait que “Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée”. Il en fût vexé dans son for intérieur mais n’en pipa mot. Cela ne l’empêcha pas d’aller montrer sa poitrine constellée de médailles dans les salons ni de considérer que cette défaite valait autant qu’une victoire. Mais quand il en parlait devant tout le monde, les autres aussitôt changeaient de conversation. Etonnant pour des gens qui forment une maffia! Il attrapa vite un nouveau surnom. De « Petit Napoléon » il devint « Job le baroudeur minable ».
Na lennit ket hepken, komzit !