« Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l’émigration et haine de la République parlent allemand… La contre-révolution parle l’italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreurs. »
Décret de la Convention Nationale du 8eme jour de Pluviôse, an Second de la République française, une et indivisible qui ordonne l’établissement d’Instituteurs de langue Française dans les Campagnes de plusieurs Départements dont les Habitants parlent divers idiomes.
en guerre contre les « Patois » (1790-1794) Par Hervé LUXARDO
« Le
fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l’émigration
et haine de la République parlent allemand… La Contre-révolution
parle l’italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de
dommage et d’erreurs. »
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- la radicalité du système jacobin qui souhaite détruire en totalité les patois désignés comme l’un des ennemis de la Révolution.
- l’immensité de la tâche à laquelle s’était vouée la Convention Montagnarde.
Le français minoritaire |
languedocien. (…) Nous
pensons en languedocien avant de nous exprimer en français, cette
langue n’est qu’une traduction de la nôtre ».
En 1789, le français est donc une langue officielle…, minoritaire! Non seulement, les langues locales sont bel et bien vivantes mais de plus très diverses, « à l’infini », insistent les lettrés. |
L’Abbé Grégoire
se désole que les « faubourgs d’une même commune, telle que
Salin et Commune-Affranchie (Lyon) offrent des variantes ». Selon notre
protagoniste l’extrême variété des dialectes nuirait
à la modernisation de l’agriculture (raison supplémentaire
pour les éradiquer): « d’un village à l’autre, les cultivateurs
ne s’entendent pas ».
Pour convaincre son auditoire, il s’indigne que dans certaines contrées méridionales de la France, « le même cep de vigne a trente noms différents ». En 1806, une enquête vient confirmer la richesse linguistique des pays de France et dénombrerait « plus d’un millier de dialectes germaniques dans l’Est ». Et que dire des accents et des prononciations! Ainsi, dans le nord de la région nantaise, tout un chacun peut distinguer un habitant de la contrée de Chateaubriand des environs de Blain et de Batz. En 1790, un correspondant de l’Abbé Grégoire, magistrat d’opinion jacobine écrit de la Haute-Vienne: « Le patois que parlent les habitants de la campagne n’est pas également prononcé dans les différente cantons: les terminaisons, surtout, qui caractérisent ce qu’on appelle l’accent, sont si diversement exprimées qu’on peut deviner qui est de tel ou tel pays; et les termes varient tellement d’un lieu à l’autre que la plupart de ceux qui sont usités dans les montagnes du Bas-Limousin ne sont pas entendus à Limoges ». |
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L’enquête de l’abbé GrégoireLancée le 13 août
1790, l’enquête de l’abbé Grégoire a reçu 49
réponses qui se sont étalées jusqu’en 1792. Il n’y
a pas moins de 43 questions concernant « le patois et les mœurs des gens
de la campagne ». Parmi les régions qui ont été les
plus motivées, citons le Sud-Ouest avec 11 réponses dont
Périgueux, Bordeaux, Mont de Marsan, Auch, Agen, Toulouse et Bayonne;
pour le Midi méditerranéen quatre courriers (Perpignan, Carcassonne,
Montpellier et « la Provence »); le Sud-Est a envoyé 7 commentaires
avec Lyon, la Drôme, l’Ain et le Mâconnais; l’Est est bien
représenté avec 8 lettres provenant d’Alsace et de Lorraine
(trois du jura), ce qui ne doit pas surprendre puisque l’Est est la région
la plus alphabétisée du XVIIIème siècle. Par
contre le Nord est sousreprésenté avec 5 réponses
tout comme l’Ouest bocager (2 réponses) – la contrée concernée
recouvre les Côtes du nord, le Finistère, le Morbihan et St
Calais dans la Sarthe. Paradoxalement, le correspondant de ce département
indique que « La langue française est la seule qu’on y parle; il
n’y a pas de patois et on ne se rappelle nullement qu’il en ait existé »
(!). Enfin viennent le Centre – essentiellement du Poitou, du Limousin,
de la Limagne – et un morceau du Bassin parisien avec la Brie (Sully et
ses environs). Quant aux régions qui n’ont pas répondu, il
s’agit de l’Ouest normand, d’une partie de la Bretagne (orientale), la
Picardie, l’Ile de France, la majorité des Pyrénées,
de la Saintonge, l’Est et le Sud-Est du Massif central.
Voici quelques-unes unes des questions posées:
1) L’usage de la langue française est-il universel dans votre contrée? Y parlet-on un ou plusieurs patois? 2) Ce patois a-t-il une origine ancienne et connue? 5) A-t-il une affinité masquée avec le français, avec le dialecte des contrées voisines, avec celui de certains lieux éloignés, où des émigrants, des colons de votre contrée sont allés anciennement s’établir? 6) En quoi s’éloigne-t-il le plus de l’idiome national? 10) A-t-il beaucoup de termes contraires à la pudeur? Ce que l’on doit inférer relativement à la pureté ou à la corruption des mœurs? 16) Ce patois varie-t-il beaucoup de village à village? 17) Le parle-t-on dans les villes? 19) Les campagnards savent-ils également s’énoncer en français? 20) Prêchait-on jadis en patois? Cet usage a-t-il cessé? 22) Trouve-t-on des inscriptions patoises dans les églises, les cimetières, les places publiques…? 29) Quelle serait l’importance religieuse et politique de détruire entièrement le patois? 30) Quels en seraient les moyens? 39) Depuis une vingtaine d’années, les paysans sont-ils plus éclairés? Leurs mœurs sont-elles plus dépravées? Leurs principes religieux ne sont-ils pas affaiblis? 42) Trouve-t-on chez eux du patriotisme ou seulement les affections qu’inspire l’intérêt personnel? |
Unification idéologiqueDe même en Vendée,
« un Maraîchin » ne comprend guère la prononciation « d’un Bocain ».
« Le Botain, souvent ne reconnaît pas ou difficilement des termes
de son propre parler prononcé par un Maraîchin ».
Dans le Périgord, « la langue française n’est pas la langue
du peuple où il y a trois patois bien distincts (…). Dans le haut,
vers Sarlat, on termine presque tous les mots par o, del po pour du pain,
un bio pour un boeuf, dans le bas, vers Périgueux on le termine
en a, une maisona pour une maison (…) entre deux vers Bergerac et le
Drot, la prononciation est moins dure ». Cependant, selon un Jacobin de
St-Amand de Boisse (Dordogne), la différence des patois n’empêche
nullement ses contemporains de s’entendre ».
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Et notre périgourdin,
curé de son état, en profite, au détour de ses commentaires,
pour faire allégeance au projet de Grégoire car « les grands
chantiers valent mieux que les petits ». La raison? C’est parce que « ces
petites paroisses sont toujours des républiques. Le peuple y est
sans frein parce qu’il est sans modèle, sans bons exemples. »
Ainsi, à travers la question de la disparition des patois au profit d’une langue nationale exclusive affleure celle de l’unification idéologique des populations pour en faire « des individus dont les lois sont communes, les espérances communes, des citoyens attachés à la chose publique, dévoués à la patrie et prêts à périr pour sa gloire ». Soulignons que cette phrase a été écrite au début de la Révolution alors que rien ne menaçait fondamentalement l’œuvre entreprise par la Constituante. |
Ce qui préoccupe
profondément les correspondants de Grégoire, dont les plus
nombreux sont des ecclésiastiques (19 dont 2 chanoines et 11 curés)
et des membres des Clubs des Jacobins, c’est le problème des moeurs
et de la morale du peuple des campagnes. Celui de Lyon s’inquiète
tout d’abord des paysans qui (contrairement à toute attente) parlent
le français! S’ils sont « il est vrai moins grossiers en général
dans
la conversation, ils
sont aussi plus libertins et plus vicieux. Le voisinage des villes les
gâte (…). Les filles y sont plus coquettes et plus faciles à
séduire que dans les villages éloignés ». Et de déplorer
que « depuis 20 ou 30 ans, leurs mœurs se corrompent étonnamment.
La Religion n’est plus pour eux qu’un frein très léger (…)
Les paysans qui viennent dans nos marchés achètent toutes
ces horreurs (des journaux ultra révolutionnaires comme les Lettres
du Père Duchêne, le Mouchoir des Aristocrates…) et les emportent
dans leurs villages où elles sont lues avidement » Cette annotation
vient ruiner la thèse selon laquelle les paysans seraient a priori
influençables parce que « ignorants et travaillés par les
prêtres ». Un professeur de collège de Bergues (Flandre) écrit
à la fin de l’année 1790: « … Les paysans ont commencé
depuis un certain nombre d’années à ne plus tant se méfier
des habitants des villes; les uns plus que les autres ont occasionné
une certaine révolution dans l’esprit des campagnards ». Certes,
remarque le secrétaire de la Société Patriotique de
St-Calais (Sarthe) « le clergé (…) se livre (…) aux prédications
de l’aristocratie la plus forcenée (…) mais ce reproche ne doit
pas frapper la plus grande partie des prêtres de nos campagnes ».
Quel abîme entre cette analyse sereine et l’attaque violente d’un
Représentant en Mission quelques années après (en
janvier
1794) qui ne veut voir dans les résistances à la Révolution
de la Flandre maritime que les effets d’une « langue qu’on (les prêtres)
y cultive encore en secret »!
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A la lecture de tous
ces témoignages les patois ne paraissent pas poser un problème
politique majeur aux « Patriotes de 89 ». Est-ce à dire que ces derniers
n’avaient pas conscience de la question des barrières linguistiques
dans les progrès des idées révolutionnaires? Si, car
voici ce que rédige la Société des Amis de la Constitution
de Perpignan, le 15 octobre 1790: « Deux prêtres persuadés
que faire descendre la Vérité dans le cœur du peuple était
le moyen le plus sûr de l’attacher aux nouvelles lois, se sont chargés
de traduire en idiome patois et d’expliquer les décrets de la Constituante ».
Ainsi, le peuple « qu’on tâche d’égarer par le mensonge connaîtra
dorénavant ses droits et devoirs. »
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Décrets en dialectes vulgairesQuelques
mois auparavant le secrétaire-interprète de la municipalité
de Strasbourg
tenait, le 6 juillet, le discours suivant aux Jacobins de Strasbourg. « Le
moyen le plus sûr de rendre les habitants de l’Alsace les meilleurs
citoyens de la France, c’est de les familiariser avec les principes humains
et la Loi sainte de la Constitution (…). De l’autre côté,
comment espérez-vous en faire de vrais patriotes si les Administrations
et les Juges qui seuls peuvent opérer cette heureuse révolution
dédaignent de parler leur langue? Ne flattez donc jamais d’éteindre
en Alsace la langue allemande ».
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Les
notables patriotes n’imaginaient donc pas que l’unité politique
impliquait l’unité linguistique.
C’est à ce point si vrai qu’un correspondant d’Aquitaine de l’Abbé Grégoire ne trouvait aucunement contradictoire d’envoyer à l’Assemblée Nationale la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » en gascon. A Carpentras, le président de la Société des Jacobins considérait comme naturel (au moins jusqu’en 1792) de s’exprimer en provençal. Et ce d’autant plus que toutes les classes urbaines et rurales parlaient le provençal. Un député des Bouches du Rhône traduit, en 1792, la Constitution de 1791: « La Counstitucien francézo » pour les « habitans deis desparteméns des Bouques- daou- Rhoné, daou Var et deis Basses-Alpes ». |
Dans le Club d’Aix-en-Provence,
pendant trois ans, le secrétaire agrémentait les textes importants
de l’Assemblée d’un commentaire en provençal.
Un grammairien rapporte qu’un jour de l’automne 1789, une députation de pêcheurs marseillais fit un discours à la Constituante en provençal! « Ve, Messieurs, nous aoutri » etc. et qu’on peut traduire par « Nous n’avons pas la même langue mais nous apprécions vos décrets. Nous gardons nos archives et bien qu’elles ne soient pas en français, elles représentent nos sentiments ». Rappelons que le 14 février 1790, la Constituante ordonna de traduira ses décrets en « dialectes vulgaires ». A la fin de 1791, un cultivateur du Sud-Ouest, Gautier-Sauzin, s’insurgea contre l’idée d’unifier la langue parce que « nos paysans méridionaux ont leur idiome naturel et particulier, hors duquel ils n’entendent rien ». Mais les habitants étaient prêts à se faire « tous tuer pour le maintien » de la Constitution. D’ailleurs ce cultivateur de Montauban fait observer que les « idiomes méridionaux ne sont pas de purs jargons: ce sont de vraies langues, toutes aussi anciennes que la plupart de nos langues modernes, toutes aussi riches, toutes aussi abondantes en expressions nobles et hardies ». Et il conclut sous forme d’interrogation. Quel inconvénient y aurait-il « à ce que des collecteurs tinssent leurs registres et fissent leurs quittances dans leur langue naturelle? » Pourquoi ne pas enseigner avec « des alphabets gascons, languedociens, provençaux? ». Un certain nombre d’historiens de la Révolution française
tentent de justifier les mesures prises à l’encontre des patois
en invoquant les insurrections de l’Ouest (Vendée et chouannerie).
« Le danger se faisant pressant, la question de la langue devint problème
de salut public ».
Du même auteur l’affirmation suivante: « le particularisme linguistique
favorisa en 1793 le fédéralisme politique (…) le particularisme
linguistique favorisait la Contre-révolution. »
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Que répondre?
Tout d’abord que le questionnaire de l’Abbé Grégoire fut
lancé en 1790 quelque 4 ans avant les assauts de la Contre-révolution!
De plus la chouannerie de mars 1793 a moins touché la Bretagne bretonnante
qui est restée favorable à la République… Quant
au concept de fédéralisme (girondin), c’est en grande partie
une invention des Robespierristes pour servir leur propagande car il n’existe
aucun texte de Girondins réclamant une République fédérale.
Bien au contraire ces derniers jurent de maintenir la liberté et
l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de la
République ».
« Il apparaît que la politique d’unification forcée de la langue ne correspond pas à la réalité mais plutôt à la volonté des organes dirigeants de la République, Grégoire apportant les bases théoriques à l’œuvre d’éradication: « L’unité de la République commande l’unité des idiomes ». Cette politique était donc celle de la langue (unifiée) qui devait sauver la Révolution de ses difficultés. Dans sa déclaration de guerre à quatre langues (le breton, « l’allemand », »l’italien », le basque) Barère oublia les langues d’oc et notamment le gascon qui était sa langue maternelle…. En réalité les patois n’ont ni aidé ni défavorisé les idées révolutionnaires. Des historiens ont pu constater que pour Toulouse les textes écrits en langue d’oc et favorables à la politique jacobine sont plus nombreux que les textes antirévolutionnaires. Cependant, à la suite du rapport de Grégoire, la Convention vota un décret qui proposait au Comité d’Instruction Publique de présenter un rapport (!) pour établir une nouvelle grammaire et un nouveau vocabulaire… |